Festival des Etonnants Voyageurs - Point de Vue 

Le Monde - Pierre Jullien 

 

 DANS CE PREMIER livre, Astrid Wendlandt raconte qu'elle a "grandi dans les bois au Québec où [elle a] appris à lire les expressions invisibles dans la nature ( ... ). [Son] enfance a été nourrie de légendes inuits". Une explication à l'empathie que la journaliste franco-canadienne, à l'agence Reuters à Paris, éprouve pour les Nenets, une minorité autochtone de l'Arctique russe d'un peu plus de 40 000 individus, dont l'identité est menacée par l'enjeu que constituent les phénoménales réserves de gaz de leur territoire grand comme presque deux fois la France. Lorsqu'elle découvre, en 2001, à l'occasion d'un reportage à Vorkouta, en Russie, ce peuple de nomades, éleveurs de rennes, elle sait qu'un jour elle se plongera " dans la toundra, avec le nord pour cap et les Nenets pour guides".  

 

    Pour les rencontrer, Astrid Wendlandt enchaîne les reportages de 2005 à 2007 en train-stop, en traîneau ou en vezdyékhod, " un blindé à chenilles aveç une gueule de crapaud écrasé". Direction l'Oural, la péninsule du Yamal, jusqu'à l'île des Rennes, au nord de la presqu'île du Mammouth,  

en pleine mer de Kara. Si rennes et mammouths ont disparu, on peut parfois trouver une défense de pachyderme. Et, tels des naufragés, " des hommes émergent de leurs cabanes en rondins de bois. Des Robinson Crusoé de la côte. Ils ont des têtes d'oursin,les cheveux gras, les mains poisseuses et le regard noir". Elle profite de l'hélicoptère, bien utile au troc - bois de renne contre vivres -, et qui permet surtout aux enfants nenets d'aller à Î'école, au risque d'une acculturation.  

 

    A la différence de Caroline Riegel, intégrée à la population d'éleveurs de yaks du Zanskar (Himalaya indien) - elle travaillera comme porteur (Méandres d'Asie, Phébus, 2008)-, ou d'un plus lointain Paul-Emile Victor, qui hiverne au Groenland, Astrid Wendlandt ne fait que passer, de tchoum en tchoum (la tente nenets). Mais la galerie de portraits qu'elle esquisse annonce un sombre avenir aux Nenets. Pyotr n'a pas vu de changement depuis que les communistes ne sont plus au pouvoir. "Voudriez-vous avoir votre propre pays, un jour?" ,lui demande-t-on. "Pour quoi faire? C'est déjà notre terre. Ma mère, ma grand·mère ont toujours vécu ici."  A Nina qui lui demande la raison de sa présence, elle répond qu'elle veut " mieux comprendre le monde" . Grâce à son livre, elle n'est sans doute pas la seule à pouvoir le falre. ....  

    Alors, il y a cinq ans et demi, elle est venue s'installer à Paris. Astrid Wendlandt est rédactrice en chef au service économique de l'agence de presse anglo-canadienne Reuters, chargée du luxe et de la mode. "Je suis le business du luxe dans toute l'Europe, et aussi, bien sûr, l'actualité française." Pour son job, elle fréquente Milan, Zurich, Genève, Londres ... Mais tout son temps de liberté, depuis 2001, elle le passe en Sibérie orientale, au-delà du cercle polaire Arctique.  

 
 

    Une révélation. Un désert de toundra qu'elle a découvert lors de reportages à Vorkouta, la "grande ville" de la région, à quelque quarante deux heures ferroviaires de Moscou! Elle était venue interviewer des mineurs de charbon, qui furent autrefois des héros de l'URSS, et vivent aujourd'hui comme des misérables. "Et puis un jour, comme par miracle, j'ai croisé dans le blizzard un homme qui menait un attelage de rennes, un Nénets. Ce fut une révélation." Les Nénets (le mot signifie dans leur langue « être humain ») sont des cousins des Inuits, venus comme eux jadis d'Asie centrale mais restés à l'extrême nord de la Russie. Ce sont des nomades éleveurs de rennes qui sont parvenus jusqu'à présent à conserver leur mode de vie traditionnel et leur religion, à l'écart du monde dit « moderne ». Même s'ils sont menacés par le "progrès" : la Sibérie, vaste réservoir de gaz naturel, est en train d'être mise en coupe réglée par le conglomérat russe Gazprom. Et des missionnaires baptistes voudraient faire renoncer les Nénets à leurs pratiques ancestrales. Ils leur interdisent de boire de l'alcool mais aussi de manger de la viande de renne crue, "alors que c'est très bon et très nourrissant".     

 
 

Conquise par l'absolue liberté des Nénets, elle s'est rendue plusieurs fois auprès d'eux, crapahutant en train, voiture, tank des neiges ou à pied, partageant leur vie, parlant avec tous ceux qui voulaient bien. Surtout des femmes. "Non pas que je sois féministe. Mais j'avais un accès plus facile aux femmes, et ce sont elles qui font tout le travail, excepté l'élevage. J'ai voulu célébrer ce peuple que personne ou presque ne connaissait il y a encore cinq ans, exprimer mon admiration pour leur vie très dure." Sans se cacher la réalité, Astrid est partie à la recherche d'un idéal de vie, et surtout en quête d'un merveilleux, d'un inconnu, de l'âme d'un monde en quoi elle a foi. "Je suis un peu animiste", confie-t-elle.  

 
 

    Son livre, résultat de trois ans de travail "pour trouver (sa) voix et (sa) langue", avait séduit pas moins de six éditeurs. C'est Robert Laffont qu'Astrid a choisi, par souci d'efficacité. Quant à la suite, ce sera le récit du périple qu'elle aimerait accomplir l'été prochain, 2500 km du sud au nord de l'OuraL Elle en rêve: Hourra l'Oural?  

    Pour comprendre Astrid Wendlandt, il faut aimer le grand froid. Ce qu'expliquent sans doute ses racines. Si elle est née à Paris d'une mère française, son père est québécois d'origine allemande, et elle a été élevée dans la campagne, près de Montréal. Elle a aussi une belle-mère indienne, dont la sœur est chamane. "Dans ma famille, dit-elle, tout ça est assez banal." Certes. Toute jeune, Astrid éprouve un puissant attrait pour la Russie, qui deviendra sa "troisième patrie". Elle apprend la langue et, à l'âge de 21 ans, part pour Moscou. D'abord étudiante, puis free-lance pour des journaux français et canadiens, elle entre au Moscow Times, quotidien russe en anglais né en 1992, dans la foulée de la perestroïka. Ce premier séjour dure trois ans. Ensuite, elle va faire une maîtrise d'économie à Boston, puis est envoyée à nouveau à Moscou, comme correspondante pour le Financial Times. Un second séjour de cinq ans. "C'est en Russie que je suis devenue adulte, femme et journaliste, dit-elle. Mais j'avais peur de ne plus pouvoir vivre ailleurs."  

Ce n'est pas Elodie Bernard, née à Troyes en 1984, qui la contredira : en 2008, alors âgée de 24 ans, elle décide de pénétrer seule et sans autorisation en république autonome du Tibet, peu après les émeutes dans la capitale, quand la planète a les yeux tournés vers Pékin qui s'apprête à accueillir les jeux Olympiques. L'ex-étudiante en relations internationales à la Sorbonne, spécialiste de l'Iran, vient de publier le récit de cette expédition hors norme "Le vol du paon mène à Lhassa"  dans la nouvelle collection de Gallimard, Le Sentiment géographique, "pour tenter de comprendre de l'intérieur la situation de ce pays en pleine tourmente" . Toute à son admiration pour sa compatriote Alexandra David Néel (1868-1969), qui, elle aussi, s'en fut "hanter l'étrange pays de là-haut" , Elodie Bernard signe un premier livre également très réussi. Un récit de voyage riche de ce supplément d'âme littéraire qui reste la marque des vrais écrivains voyageurs. Qu'ils soient hommes ou femmes… 

Delphine Peras -  Lire , Eté 2010  

Une nana chez les Nénets 

                                      Jean-Claude Perrier 

 
 

Astrid Wendlandt, un écrivain-voyageur pas comme les autres 

    "Ce que j'ai fait, dit Astrid Wendlandt, tout le monde peut le faire." Quitte à heurter sa modestie, ce n'est pas vrai. A 36 ans, polyglotte, tête bien pleine autant que bien faite, cette baroudeuse qui ne renonce jamais à sa coquetterie féminine passe ses vacances dans l'Oural polaire, avec des éleveurs de rennes nomades, animistes et mangeurs de viande crue. Elle dort sous leur tchoum par des froids sibériens, au sens propre. Elle en a rapporté un récit, Au bord du monde, aussi passionnant que littéraire, qui la fait entrer de plain-pied dans la confrérie des meilleurs écrivains-voyageurs d'aujourd'hui, aux côtés de son "complice d'escalade" Sylvain Tesson, qui l'a aidée à élaborer son livre, ou d'Eric Faye, son collègue chez Reuters, qui a subi ses "gueuloirs flaubertiens".  

Comment les baptiser? Ecrivaines voyageuses? On a vu féminisation plus heureuse", Ce n'est pas faute de constater que la très masculine confrérie des écrivains voyageurs s'ouvre de plus en plus aux femmes, Jeunes, curieuses, intrépides, elles sont souvent journalistes, reporters d'images, investies dans l'humanitaire, à l'instar de Priscilla Telmon, Sybille d'Orgeval ou encore Constance de Bonnaventure, qui incarnent depuis quelques années cette nouvelle génération de baroudeuses françaises promptes à prendre la plume - et la caméra - pour faire partager leurs aventures du bout du monde, Elles ne sont pas pour autant des garçons manqués! 

 

Au contraire, comme en témoigne Astrid Wendlandt, 36 ans: "Jamais une marche forcée sans mon gloss et mon Rimmel", écrit-elle dans "Au bord du monde, Une vagabonde dans le Grand Nord sibérien" , son premier livre, récemment paru chez Robert Laffont. C'est le récit enlevé des longs mois en 2005 et 2006, pendant lesquels cette belle blonde franco-canadienne a partagé la vie des Nenets. Derniers nomades éleveurs de rennes dans cette région hostile, ils sont aussi parmi les derniers autochtones à défendre un mode de vie ancestral au nord du cercle polaire. "Par  rapport  à  un  homme, une femme seule semble plus vulnérable, les gens nous accueillent plus facilement et la solidarité féminine joue à plein" , confie la journaliste de l'agence Reuters, basée à Paris, parfaitement russophone après avoir vécu longtemps à Moscou, notamment comme correspondante du Financial Times. "Je pense qu'il y a aussi une différence d'écriture : la femme est plus ouverte aux histoires des autres, elle aura moins tendance qu'un homme à mettre en avant sa force et son endurance." 

 

Grande lectrice de Jack London, Astrid Wendlandt a eu très tôt la bougeotte : " Quand on voyage, on développe un troisième œil qui permet de voir des choses qu'on ne verrait pas autrement. Et puis j'aime apprendre, je considère le voyage comme un enseignement à part entière."